Démocratie participative et conseils de quartier : des outils pour revivifier la démocratie.

Dans les pays où le vote n’est pas obligatoire, c’est parfois moins d’un électeur sur trois qui exerce encore son droit de vote.  En Belgique, le nombre de personnes ne votant pas et/ou votant blanc croît également de scrutin en scrutin. Ceci est le signe d’un désamour profond et grandissant entre la population et ses élus.  La démocratie est pourtant notre rempart le plus précieux contre deux fléaux : le poujadisme et la technocratie. Ni une société de la pensée binaire qui se contente de trouver des coupables à tous les maux, ni une société soumise aux diktats de l’économie et vide de sens ne sont souhaitables.

Le premier outil afin de remédier à cette situation est bien évidemment de moraliser la vie politique.  La multiplication des affaires n’aide pas à rendre à la fonction d’élu la noblesse qui lui est pourtant due.  Etre élu est et doit redevenir, un temps consacré à la collectivité.

Le deuxième outil consiste à établir une interaction plus directe et respectueuse entre élus et électeurs.  Lorsque (trop rarement) des consultations sont organisées (pensons à Liège pour Liège 2015, à Namur pour la préservation du Parc Léopold ou à Louvain-la-Neuve contre l’extension de l’esplanade), force est de constater la grande difficulté de certains élus à respecter la décision des citoyens lorsqu’elle va à l’encontre de leur projet initial. Le remède est donc d’aller vers plus de démocratie, plus de transparence et plus de participation citoyenne

Une délégation s’est rendue à Gennevilliers en mars 2017, une municipalité de la banlieue parisienne qui a introduit depuis le début des années 2000 des processus participatifs.  De cette visite, sont identifiés une série de processus qui mutatis mutandis semblent pouvoir être utilement transposés à Liège (comme dans d’autres villes en Wallonie et à Bruxelles), des processus susceptibles de recoudre la relation entre citoyens et élus, mais aussi d’impulser des politiques plus adaptées aux besoins des citoyens, plus ancrées dans leur réalité.

Ces processus, il conviendrait de les codifier dans une « Charte de la vie démocratique et de la participation citoyenne » à rédiger en impliquant largement les Liégeoises et les Liégeois.

Les processus que nous pourrions mettre en place 

  1. Créer des Conseils de Quartier

Le conseil de quartier est un nouveau dispositif a créer à partir de l’expérience des comités de quartier. Il vise à améliorer et donner plus de responsabilités directes aux habitants et à soutenir leur engagement.

A titre d’exemple, Gennevilliers compte environ 43.000 habitants et 7 conseils de quartiers y ont été mis en places, soit environ 5000-6000 habitants par quartier.  Sur base de cette expérience, cela semble constituer une taille trop petite et conduirait pour Liège à une division trop importante.  Multiplier les conseils de quartier signifie également émietter les budgets et multiplier les structures.

Pour Liège il existe actuellement pas moins de 4 découpages administratifs : 28 quartiers (proposition du GT interdépartemental de 2016), 21 quartiers reconnus au « tableau de bord de la population », 33 zones correspondant aux 33 comités de quartiers reconnus par la Ville, et enfin 14 zones correspondant aux 14 commissariats de police répartis sur le territoire de la Ville (exception faite de l’Hôtel de Police).

Le découpage actuel des comités de quartier semble trop petit dès lors qu’il s’agit de réfléchir de l’allocation de budgets participatifs.  Il s’agirait de prôner de préférence des entités d’environ 15-20.000 habitants et de proposer dès lors un découpage suivant les 14 zones de police, lequel correspond bien aux anciennes communes avant fusion (Wandre, Jupille, Grivegnée, Angleur, Chênée) et quartier de la ville (Droixhe, Longdoz, Outremeuse, Guillemins, Avroy, Ste-Marguerite, Ste-Walburge, St-Léonard et Centre) soit à des espaces de vie auxquels s’identifient par ailleurs les habitants, ce qui constitue un élément important.

Bien évidemment, la création de ces conseils ne doit en rien nuire à la vie des comités de quartier dont la fonction est le plus souvent très complémentaire.

  1. Leur attribuer de réelles compétences

 Le but de ces conseils de quartiers n’est pas de rajouter une tranche de lasagne institutionnelle supplémentaire, il est de décentraliser les espaces de décision au plus près des citoyens et de générer une plus grande diversité des personnes chargées de prendre les décisions.

Ouvert à tous les habitants, le conseil de quartier est un espace :

  • d’information,
  • de consultation,
  • de concertation,
  • de décision, notamment via le budget participatif et un droit d’interpellation du conseil communal.

Le conseil de quartier se saisit de toutes les questions qui concernent l’aménagement du quartier et de la vie publique. Il veille à la participation du plus grand nombre (nouveaux habitants, représentants des différentes générations, diversité géographique et urbaine du quartier).

II décide de l’utilisation du budget participatif.  Le projet « Réinventons Liège » propose de doter de 100.000 euros en 2018 un projet de budget participatif à répartir sur deux quartiers.  C’est une excellente initiative et l’occasion de tester le procédé.  Mais c’est évidemment largement insuffisant pour être mis en œuvre sur tout l’espace de la Ville.  De le schéma proposé ici, le budget alloué à la participation citoyenne serait progressivement amené à deux millions d’euros annuel à répartir pour partie entre les 14 conseils de quartier en proportion du nombre d’habitants y correspondant (soit environ 100.000 euros par an et par quartier), et pour partie (25% environ) à une enveloppe centrale (de 500.000 euros) qui pourrait servir aux projets de plus grande envergure et d’intérêt partagé entre plusieurs quartiers, charge leur étant donnée de se coordonner pour formuler une proposition.  Une réunion conjointe des différents bureaux des conseils de quartier se réunirait 2-3 fois par an

Le fait de disposer de budgets de façon décentralisée est évidemment une façon de donner du poids aux conseils de quartier, et à travers eux à l’implication citoyenne qui ne se résume plus à de l’animation festive (si important au vivre ensemble puisse être celle-ci).  L’expérience gennevilloise a démontré que les projets émanant des budgets participatifs décentralisés étaient parfois surprenants mais toujours adaptés à la réalité quotidienne des habitants.  On a ainsi vu fleurir, des jardins partagés, des aménagements urbains … mais également des abris à la sortie des écoles, permettant aux parents de trouver un lieu abrité dans lequel ils peuvent recréer du lien social.

Les conseils de quartier dévraient disposer également d’un droit d’interpellation du Conseil communal.  Celui-ci, codifié dans la « Charte de la vie démocratique et de la participation citoyenne », viendrait en complément à l’actuel droit d’interpellation citoyenne, et permettrait de faire remonter au Conseil Communal des problématiques de quartier, et des solutions, amenées directement par les citoyens.

  1. Les constituer démocratiquement et de façon novatrice

Le pluripartisme est un élément clef de toute démocratie. Face à une tendance croissante à soumettre nos choix de société à des impératifs économiques et à une technocratisation accrue, la liberté de fonder des formations politiques, et de présenter leur projet au suffrage universel pour composer nos instances politiques est une conquête démocratique essentielle.

Toutefois ce mécanisme seul se montre incomplet et l’on constate un écart croissant entre monde politique et citoyens. Que ce soit en terme de profession, d’âge, ou de sexe, les élus ne sont pas assez représentatifs de la population.

L’instauration de Conseils de Quartier, instance politique la plus proche des citoyens, doit être l’occasion de recoudre se lien et de réenchanter la politique au sens noble du terme.

L’outil central de la vie démocratique dans les 14 zones serait une Assemblée de quartier se réunissant 2 à 3 fois par an minimum dans un lieu public du quartier, idéalement l’antenne administrative délocalisée du quartier, ou un bâtiment de la ville (MJ, maison de quartier,…) s’il n’en existe pas. Ces réunions seraient annoncées publiquement, organisées à date fixe et fixées bien à l’avance (détails à établir dans la charte de la vie démocratique).

Un Conseil de quartier serait en outre constitué dans chacune des 14 zones.  Son rôle serait d’organiser les Assemblées de quartier, de recueillir et synthétiser les projets proposés, d’évaluer leur coût (avec l’aide de l’administration communale), d’effectuer une sélection et de la présenter en Assemblée de Quartier (avec pour objectif d’obtenir un consentement) avant de soumettre au Conseil communal le/les projet(s) retenus pour validation.

Plutôt que d‘ajouter une élection supplémentaire, ce Conseil de quartier pourrait dès lors être constitué selon une procédure originale.

On y retrouverait :

  • 12 citoyens tirés au sort (à parité de genre) au sein des habitants de plus de 16 ans (pour impliquer les plus jeunes) et résidents des 14 zones respectives. Ceci permettrait de casser le biais social souvent présent dans l’élection et que l’on retrouve aujourd’hui au Conseil communal.
  • 2 représentants de la MJ (maison des jeunes) du quartier (à parité de genre) désignés par un vote au sein de celle-ci. Ceci permettrait d’impliquer bien davantage les plus jeunes à la décision politique
  • 3 conseillers communaux (idéalement habitant le quartier) et l’échevin en charge de la vie démocratique (fonction à établir) y seraient également conviés (à titre d’observateur et sans droit de vote). Ceci permettant d’assurer un lien entre le conseil communal et les conseils de quartier élus.

Le processus de renouvellement des responsables du Bureau de Quartier pourrait avoir lieu tous les 2 ou 3 ans, l’implication citoyenne sur la durée (6 ans) étant parfois compliquée.

Les Conseils de quartier se réuniraient au minimum 6 fois par an dans un local mis à leur disposition par les autorités communales.

Dans l’idée de reconstruire du lien et de sortir des dynamique conflictuelles souvent associées à l’action politique, le mode de décision privilégié au sein des Conseils de quartier et de l’Assemblée de quartier serait le consentement sur base des techniques d’intelligence collective.  A défaut, en dernier recours et afin de ne pas paralyser les processus de décision, les décisions seraient prises par vote à la majorité des présents.

Afin d’assurer une rotation et une implication d’un maximum de citoyens, il serait possible d’exercer maximum deux mandats consécutifs au sein d’un Conseil de quartier.

  1. Leur permettre de s’implanter dans le quartier

Les Conseils de quartiers disposeraient également chacun d’un petit journal permettant de faire la promotion de la vie associative et culturelle des quartiers, mais également des thématiques qu’ils traitent.

Ces journaux pourraient venir en remplacement de l’actuel journal de la ville.  Quelques pages pourraient y être mutualisées et consacrées à la vie du CC et de la ville dans son ensemble.

La commune mettrait à disposition un journaliste indépendant aidant à la qualité du travail, et assurant le lien avec les services de la Ville pour les aspects d’impression et de distribution.  Mais la ligne éditoriale reviendrait bien aux habitants via le Conseil de quartier.

Une analyse de Pierre Eyben pour A Contre Courant

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