Miser sur Liège Airport, c’est développer notre capacité de nuire (carte-blanche)

Une enquête publique relative au renouvellement du permis de l’aéroport de Liège est en cours. C’est l’occasion, pour une palette d’associations et de personnalités d’interroger le gouvernement wallon sur son projet de développement de cet aéroport au vu des impératifs liés à la lutte contre les dérèglements climatiques.

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Pour sortir d’une dépendance à l’alcool, il ne sert à rien d’allonger son verre à l’eau. Il en va de même pour s’acquitter de notre dépendance aux énergies fossiles et répondre aux enjeux climatiques. Les demi-mesures ont montré leurs limites. Un sevrage disruptif est nécessaireLe dernier grand Plan de relance de la Wallonie le prévoit. Aussi, l’ambition actuelle autour de Liège Airport – dont la venue d’Alibaba, l’Amazon made in China – doit être radicalement revue. L’enquête publique en cours est l’occasion de remettre sur la table les vraies questions du débat ! La Wallonie ambitionne que Liège Airport devienne le premier aéroport cargo européen. Une première place sur le podium de la logistique qui exclut toute médaille aux épreuves du développement durable et de la résilience.

En 2021, Pierre Ozer, climatologue à l’Université de Liège, attirait l’attention sur le fait que les quantités de CO2 émises par la plateforme aéroportuaire explosent à une telle vitesse qu’elles rendent vains la totalité des efforts wallons de réduction de CO2. Bien plus, du fait du développement escompté par l’arrivée du géant chinois de l’e-commerce – Alibaba – l’aéroport pourrait, sur la décennie 2040-2050, générer, à lui seul, plus de CO2 que toute la Wallonie. Cette étude souligne qu’entre 2018 et 2020, la consommation de carburant a augmenté de +34,4 %, une croissance bien plus rapide que celle des marchandises transportées sur la même période (+27,8 %). Cette augmentation de consommation en carburant se traduit par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. De 2013 à 2020, les émissions de CO2 ont ainsi augmenté de 147 %.

En croisant ces données avec celles de l’Agence wallonne pour l’air et le climat (AWAC), l’étude conclut que « de 2013 à 2018 […] le CO2 émis par Liège Airport est supérieur à ce qui a pu être évité sur le territoire de la Wallonie ». Certes, les émissions du transport international (aérien et maritime) ne sont pas incluses dans les inventaires nationaux. La responsabilité de la Wallonie ne serait donc pas engagée, selon certains. D’où le choix « stratégique » de développer un secteur dont les émissions ne seront pas imputées à notre région, à notre pays ? Les émissions n’en demeurent pas moins réelles et n’en affectent pas moins le climat planétaire. Le choix est-il donc stratégique ou cynique, voire climatiquement irresponsable ?

« Est-il raisonnable, tous les jours en 2020, de brûler 1,7 million de litres de pétrole à Liège Airport alors que le pays est touché – comme le reste de la planète – par les conséquences du changement climatique ? » s’interrogeait le chercheur de l’Université de Liège. « Mais il s’agit d’un important réservoir d’emplois », est-il systématiquement répondu. Aucune étude préalable n’a été menée pour affirmer que l’extension générera autant d’emplois qu’annoncé. La qualité de ces emplois couplée à l’automatisation croissante du secteur logistique laisse également perplexe. Certes, la « fin du mois » n’est pas un paramètre à négliger, tentons juste de la concilier dans l’évitement de la « fin du monde » !

Plaidoyer pour les générations futures… et présentes

En pleine crise covid, les Nations Unies rappellent l’urgence de l’action climatique gouvernementale si nous voulons limiter l’apparition d’autres pandémies. « L’argent des contribuables ne doit pas servir à subventionner les combustibles fossiles ni à renflouer des industries polluantes et à forte intensité de carbone… Il faut renoncer au monde d’hier et investir les fonds publics et privés dans un avenir durable ».

Les dernières évaluations du Giec, synthétisant environ 34.000 papiers scientifiques, rappellent que « Limiter le réchauffement à +1.5ºC n’est pas une option ». Il ne s’agit pas d’une idéologie politique mais d’une réalité physique si nous voulons préserver les humains et l’ensemble de la biosphère. Le dernier rapport du Giec fait clairement référence à la nécessité d’un changement systémique incluant une réduction de la demande pour tous les modes de transport.

Le discours des défenseurs du développement durable a longtemps mis l’accent sur l’importance de préserver les générations futures. Migrations, événements climatiques extrêmes, pandémie, guerres : les dernières actualités cataclysmiques – aussi bien à l’échelle mondiale que locale (inondations catastrophiques survenues en juillet 2021) – nous rappellent qu’il est également question des générations présentes. Repenser le fonctionnement de nos sociétés – dont la place du transport aérien – est, dans cette optique, indispensable.

Limiter notre capacité de nuire

Seul le déni ou l’ignorance peuvent faire dire que le développement du fret à Liège Airport est compatible avec les engagements pris lors de l’Accord de Paris sur le climat au niveau international. Ce projet est également aux antipodes des objectifs que notre Gouvernement s’est donnés dans sa Déclaration de politique régionale pour la Wallonie 2019-2024 :

– « Favoriser la création d’emplois durables et de qualité ». Le secteur de la logistique repose principalement sur des emplois aliénants, pénibles et non-pérennes, aux horaires et cadres de travail néfastes pour la santé. La création d’emplois n’est pas gage de durabilité.

– « Réduire progressivement les subsides aux secteurs et technologies qui sont contraires aux objectifs climatiques ou environnementaux » : les investissements publics – issus de l’argent du contribuable – injectés dans Liège Airport sont estimés à 1,24 milliard d’euros. Ce même montant aurait pu être injecté dans des secteurs plus en phase avec ces objectifs (gestion des ressources naturelles, protection de l’environnement, isolation des bâtiments, transports publics…).

– « La Région vise la neutralité carbone au plus tard en 2050 (dont 95 % de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 1990) » : Le plafond d’émissions attribué aux Transport dans le Plan National Energie Climat (PNEC) est de 788 millions de tonnes d’équivalent CO2. Les données reprises dans les paragraphes ci-dessus démontrent le déphasage total entre cet objectif et la tendance actuelle.

« Si la Wallonie ne s’empare pas de ce projet, d’autres le feront » : dans une perspective économique court-termiste, y renoncer serait regrettable pour certains. Dans une réflexion sociétale portant sur le long terme, ce serait au contraire un pari gagné. C’est pourquoi nous demandons aux autorités compétentes de revoir leurs ambitions dans le développement de Liège Airport. Une révision nécessaire pour limiter la casse. Limiter notre contribution à l’émergence de futures pandémies. Limiter notre implication néfaste dans les catastrophes environnementales survenant chez nous et sur le reste de la planète. Limiter notre capacité de nuire. Faisons notre part !

*Cosignataires : Coalition Climat ; Intergroupe liégeois des Maisons Médicales ; Greenpeace Belgium ; Les Amis de la Terre ; Transport & Environment (T&E) ; Coalition Kaya ; Comité Liège Air Propre (CLAP) ; Collectif 5C ; Réseau des consommateurs responsables ; Pierre Ozer, professeur à l’Université de Liège ; Thérèse Snoy, présidente des Grands-Parents pour le Climat et Claire Lecocq, représentante de la locale liégeoise ; Etienne de Callataÿ, économiste ; Cédric Leterme, chargé d’étude au GRESEA ; Pierre Eyben, président de « A contre-courant » ; Félicien Bogaerts, pour Le Biais Vert.

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