Quand la résistance se fait créatrice (2/2) : BiosCoop, la super supérette coopérative

Une analyse de Pierre Eyben (À Contre Courant) & Sarah de Liamchine (Présence et Action Culturelles). 

À la suite de notre réflexion sur le modèle d’entreprise coopérative de Vio.Me comme réponse aux désinvestissements économiques suite à la crise de la dette grecque, nous vous proposons dans cette analyse, un autre exemple de résistance économique mis en place par les citoyen·nne·s grec·que·s face à la crise sans précédent vécue par le pays depuis plusieurs années.

BiosCoop est un supermarché coopératif dont l’objectif est d’une part de permettre aux producteurs locaux d’écouler leurs produits et d’autre part, de permettre aux Grec·que·s de faire leurs achats à moindre coût. Ce supermarché permet donc de faire vivre l’économie locale et réelle tout en palliant en même temps l’augmentation exponentielle de certains biens de première nécessité comme les soins de santé ou le transport.

Face aux effets désastreux du capitalisme mondialisé dans nos pays, est-il possible de résister tout en créant de l’activité économique ? Produire, travailler et consommer, trois actions, trois moments, qui déconnectés du terreau local où ils s’exercent participent à l’augmentation des inégalités produites par le système capitaliste. Ces initiatives observées en Grèce sont-elles adaptables et adaptées en Belgique ou dans d’autres pays européens ? Et comment s’en inspirer ?

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La crise grecque a profondément affecté le secteur secondaire (industrie) de son économie. Mais le secteur primaire (agriculture), très important en Grèce, a également été lourdement touché. Dans ce contexte, des alliances inédites se mettent en place par endroits à l’échelle locale entre producteurs et consommateurs. Les premiers, qui parfois sont des travailleurs d’autres secteurs redevenus agriculteurs par nécessité suite à la perte de leur emploi, cherchent des débouchés pour écouler leurs productions. Les seconds, disposant de revenus modestes, souhaitent acheter des produits de base (alimentation, hygiène, soins,…) à prix modéré.

L’EXEMPLE DE LA COOPÉRATIVE BIOSCOOP

La coopérative BiosCoop est un exemple particulièrement intéressant de ce que peuvent générer ces synergies nouvelles. BiosCoop est une coopérative de consommateurs qui, partant de leur volonté d’avoir accès à des produits de qualité à prix modérés, ont souhaité mettre en place leur propre supérette et y proposer des produits de producteurs de leur région sans passer par des intermédiaires. À l’opposé du modèle des supermarchés situés dans des zonings et accessibles essentiellement en voiture (de nombreux Grecs n’ont en réalité plus les moyens d’avoir de voiture), celle-ci est accessible en transports en commun et située en zone urbaine dans la partie sud de la ville de Thessalonique. Le projet regroupe désormais environ 450 coopérateurs. Après deux ans de préparation, cette supérette d’un genre nouveau a été inaugurée il y a maintenant un peu plus de 3 ans. Initiée sur une base purement bénévole, BiosCoop emploie aujourd’hui 7 travailleurs à temps-plein et continue de grandir pas à pas.

QUEL EST LE « MODÈLE » BIOSCOOP ?

La coopérative vend des produits locaux, sélectionnés sur base de critères sociaux et environnementaux par un comité de coopérateurs qui étudie et valide via un vote chaque produit proposé en magasin. Mais elle vend également des produits « classiques » lorsqu’il n’est pas possible de trouver d’équivalent local. Pourquoi ? Pour couvrir tous les besoins de ses « clients », et devenir dès lors une alternative complète aux supermarchés. Il ne s’agit pas de faire de la supérette coopérative un simple complément aux supermarchés classiques mais bien de s’y substituer complètement. Même si pour certains produits, des alternatives ne semblent pas possibles à court-terme, avec cette stratégie, la proportion de produits locaux ne cesse de croître. Elle est aujourd’hui comprise entre 60 et 70 % du catalogue de produits de BiosCoop.

CELA FONCTIONNE-T-IL ?

Même si les volumes écoulés sont bien moindres, en supprimant au maximum tous les intermédiaires (et leurs marges), en ne cherchant pas à réaliser de profits, en comptant sur l’implication de ses coopérateurs pour accomplir certaines missions, la supérette réussit à être moins chère que les supermarchés classiques dès lors que l’on y fait l’intégralité de ses achats.

DES PROCESSUS PARTICIPATIFS, UN AUTRE MODÈLE

Mais BiosCoop ne se contente pas d’être une alternative « compétitive », c’est également un modèle totalement différent de celui de la grande distribution. À sa tête, la coopérative compte un « board » de 9 personnes. Mais les réunions de cette direction collégiale sont ouvertes à tous les membres. Il y a en outre des assemblées générales 2 à 3 fois par an, lesquelles prennent toutes les décisions les plus importantes pour la vie de la coopérative (investissements, engagements, politique salariale,…).

La coopérative compte également 10 groupes de travail qui se réunissent régulièrement, comme par exemple le groupe « qualité des produits » évoqué ci-avant et qui analyse (en collaboration avec un groupe de recherche de l’université de Thessalonique) la qualité de tous les produits qui sont vendus au magasin.

ET CHEZ NOUS ?

C’est la crise et la nécessité pour les producteurs comme pour les consommateurs d’inventer un autre modèle qui ont poussé à la création de BiosCoop. Des initiatives de même nature existent ailleurs en Grèce, pays qui est un important producteur agricole, même si elles demeurent encore marginales. Chez nous, le nombre de supérettes bios a crû rapidement ces dernières années. Toutefois ces initiatives sont le plus souvent destinées à une population aisée soucieuse d’avoir accès à un alimentaire de meilleure qualité. Dans ces structures, dont peu sont coopératives, on ne retrouve pas toujours la volonté de proposer une gamme complète de produits (pour remplacer totalement les supermarchés), et moins encore celle de pratiquer des prix à destination des plus modestes. Enfin, la dimension « productions locales » n’est pas toujours présente.

Pour autant, deux initiatives coopératives ont récemment vu le jour en Belgique : Bees Coop à Bruxelles et Coopéco à Charleroi. Bees Coop est un supermarché coopératif créé en 2014 par des citoyen·ne·s principalement membres du Réseau Ades (Réseau des Alternatives Démocratiques Ecologiques et Sociales). Constatant les limites d’autres types d’alternatives d’achat et de commerce (les achats groupés, les épiceries « bio », les paniers bios), entre autres le caractère élitiste de ces alternatives ou la gamme limitée de produits, ils se sont inspirés d’un supermarché coopératif newyorkais qui compte pas moins de 16 000 coopérateurs pour 1000 m2 de surface (1). Après plusieurs phases de pré-tests et tests, le supermarché devrait officiellement ouvrir ses portes en janvier 2018 mais est déjà accessible à ses coopérateurs depuis septembre 2017 dans les locaux aménagés par la coopérative à Schaerbeek.  Plus de 1000 copérateur·trice·s ont déjà rejoint l’aventure. Le principe de fonctionnement est simple, chaque coopérateur·trice est à la fois propriétaire de Bees Coop et peut donc participer aux décisions de développement et de gestion de la coopérative, mais est également travailleur·euse et doit effectuer 3 heures de travail par mois pour faire fonctionner le magasin, il·elle est enfin client·e du magasin. Comme à New-york, seul·e s les coopérateur·trice·s peuvent effectuer des achats dans le magasin bien que les visiteur·euse·s soient admis. Bees Coop se donne comme mission de privilégier le circuit court en travaillant avec des producteurs locaux et de favoriser les modes de production durable et responsable tout en permettant à ses coopérateur·trice·s d’acheter à moindre coût. La part de travail fournie par chaque coopérateur·trice permet de réduire drastiquement les coûts de fonctionnement du supermarché. La relation privilégiée avec les producteur·trice·s dépasse largement la simple relation commerciale puisque ceux·celles-ci sont membres de l’assemblée générale s’ils souscrivent des parts. De même le prix ou la gamme de produits fournis par les producteur·trice·s sont négociés afin de déterminer un prix juste tant pour le·la client·e que pour le·la producteur·trice.

À Charleroi, la coopérative Coopéco a vu le jour en 2016. Avec 300 copérateur·trice·s, Coopéco souhaite comme son homologue bruxellois répondre à 4 considérations : fournir des produits de qualité, soutenir l’économie locale, permettre l’achat de produits issus de l’agriculture biologique et/ou locale à petit prix et replacer le lien humain au coeur du processus économique, entre les copérateur·trices mais aussi avec les producteur·trices.

  1. Park Slope Food Coop est un supermarché coopératif situé à Brooklyn. C’est la plus ancienne coopérative alimentaire des États-Unis.
  2. L’adresse précise est disponible sur le site de Bees Coop : http://bees-coop.be

L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE ET RESPONSABLE

Ces deux initiatives, très proches, dans la forme et dans les objectifs illustrent un phénomène plus large de prise de conscience du rôle des citoyens dans l’économie et la production industrielle ou agricole. Conscientisation qui s’est traduite par la création du terme consommacteur, il s’agit de consommer autrement car nos modes de consommation relèvent aussi d’un choix politique. Ces supermarchés montrent également, une volonté plus large des citoyen·ne·s d’utiliser leur argent et leur épargne pour financer ce qu’ils considèrent comme de l’économie réelle, tangible et plus éthique au travers notamment de l’investissement dans des coopératives. Car la crise financière de 2008 est aussi une crise de confiance entre les institutions bancaires classiques et les épargnant·e·s.  Aujourd’hui, nombreux sont ceux·celles qui souhaitent savoir, décider et comprendre où et à quoi sert leur argent.

En Grèce, suite à la crise financière sans précédent subie par le pays, des initiatives ayant pour but de redonner du pouvoir aux citoyens dans la sphère économique ont vu le jour. En Belgique mais également dans d’autres pays occidentaux, ces mêmes initiatives voient le jour, moins pour palier une situation d’urgence que pour construire d’autres modèles en espérant contrebalancer les dérives de la société mondialisée capitaliste. Toutes ces initiatives mises ensemble forment certainement une nouvelle forme de résistance et de lutte mais seront-elles suffisantes pour renverser les tendances à l’oeuvre ? En tout cas et c’est le constat que nous dressons lors d’un effondrement économique majeur comme celui vécut par la Grèce, elles permettent de créer des poches de survie indispensables basées sur la solidarité et en rupture avec le modèle du « tout au profit ».

S’aménager des alternatives qui permettront de réduire les effets néfastes de l’effondrement du système capitalise est sans nul doute un des enjeux majeurs des prochaines années auquel nous devrons, hélas, tous et toutes répondre. C’est pourquoi, conscient de cet enjeu, Présence et Action Culturelles s’attelle à travers ses thématiques d’actions à développer des activités d’une part qui visent à déconstruire le modèle capitalise et, d’autre part, qui favorisent l’émergence d’alternatives sociales, culturelles, économiques et écologiques.

Veuillez trouver le texte de l’analyse (format pdf) lequel est également consultable sur le site de Présence et Action Culturelles (www.pac-g.be

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