Une opinion de Marie-Claire Hames et Pierre Eyben
Le débat national et européen sur le glyphosate, pesticide le plus utilisé en agriculture (notamment dans le Round-Up produit par Monsanto) et dont l’OMS a révélé qu’il s’agissait d’un «cancérogène probable», a permis de remettre en lumière les risques sanitaires liés à l’utilisation de pesticides. Ceci est particulièrement vrai pour nos enfants dont la santé est en jeu.
Alors que les autorités européennes tergiversent entre intérêts économiques (l’utilisation de pesticides est une des clefs dans la course à la compétitivité dans l’agro-industrie) et risques sanitaires, alors que les pouvoirs publics belges (notamment le ministre Willy Borsus en charge de l’agriculture) sont absolument favorables au maintien de l’utilisation de ce pesticide, la mobilisation citoyenne va croissante. Le débat sur la qualité des repas servis dans les cantines scolaires a notamment repris vigueur. A Liège, une pétition réclamant des repas sans pesticides dans les crèches et écoles de la Ville a par exemple recueilli environ 2000 signatures en deux semaines (Source).
L’alternative est connue : passer au bio. Mais deux obstacles sont systématiquement mis en avant pour justifier l’impossibilité de recourir à des produits issus de l’agriculture biologique dans les cantines, leur prix et leur disponibilité en quantité suffisante. Sont-ils réels et insurmontables ?
Un repas bio complet pour moins de deux euros
S’il est un avantage précieux qu’offrent les cantines scolaires, c’est de proposer à prix modéré un repas à tous les enfants. Dans une société où les inégalités vont croissantes, ceci est précieux. Il est important de continuer de proposer à tous les enfants un repas équilibré à prix modéré, mais il est tout aussi important de leur fournir une nourriture saine.
A titre d’exemple, pour les enfants de l’enseignement communal liégeois, dans le primaire, une formule combinée « plat et dessert » coûte 3.25EUR aux parents.
Le passage au bio signifierait-il automatiquement un surcoût ? Moyennant un minimum d’adaptation, la réponse est clairement « non ». Les légumes issus de l’agriculture biologique coûtent 20 à 25% plus cher que ceux issus de l’agriculture traditionnelle. Exact, mais ces légumes étant plus gouteux et moins gorgés d’eau, on peut par exemple baisser de près de 30% la quantité de légumes pour un même volume de soupe sans en altérer le goût. La viande bio est de 30 à 35% plus chère à l’achat. Exact. Mais après cuisson ? Un steak bio fait cent trente grammes avant et après cuisson. Des steaks industriels peuvent pour leur part perdre près de 20% de leur grammage après cuisson car ils sont gorgés d’eau ! De plus, on n’a pas de suc de viande pour faire une sauce, donc on doit ajouter des produits aseptisés en poudre ou en pâte.
Pour compenser la différence de prix, il est également possible de recomposer totalement l’assiette en tenant compte de la psychologie de celui qui mange. L’assiette doit paraître bien remplie et appétissante. Mais par rapport aux repas actuels, il serait possible (et même souhaitable) de diminuer les grammages de protéines animales, les portions étant actuellement trop grandes, et de rééquilibrer (moins de viande et plus de légumes.). Il est également possible de diversifier les sources de protéines animales: poulet, dinde, poisson, œuf, lait, fromage…. Enfin, il est possible et souhaitable d’utiliser du beurre ou de l’huile d’olive en lieu et place des sauces. Outre la composition de l’assiette, une dernière source possible d’économie consiste à limiter les déchets et à ajuster les portions.
Cette transition vers le bio n’est pas théorique, elle est parfaitement réalisable et un nombre croissant de cantines scolaires et d’entreprises s’y mettent. A Liège, elle a notamment été mise en place par le chef Philippe Renard pour la cantine de l’assureur Ethias, cantine qui sert plus de 400 repas par jour. On y sert aujourd’hui une formule « entrée, plat, dessert, boisson » à prix très démocratique (moins de 4EUR). Le coût des produits y a été étudié, et il est de l’ordre de 2,5EUR en moyenne (plus exactement 0.75EUR pour l’entrée, 1.4EUR pour le plat principal et 0.4EUR pour le dessert). Ramené à des portions d’enfant, et à une formule « plat+dessert » ceci signifie une formule possible à moins de 2EUR, ce que confirment d’autres exemples belges (Source).
Un processus, une mutation conjointe
L’argument du volume de produits nécessaire et de la difficulté de se fournir n’est pas à écarter d’un revers de main. L’agriculture industrielle est effectivement largement dominante aujourd’hui, et l’on ne peut simplement passer d’un grossiste traditionnel à un grossiste bio sans autre modification. Serait-ce d’ailleurs souhaitable ?
Mais l’expérience de la cantine de chez Ethias est à nouveau intéressante car elle démontre qu’il a été possible de résoudre ce problème de la fourniture de produits locaux et issus de l’agriculture biologique pour de grandes quantités. Sinon pour les produits que l’on ne peut se procurer localement (sucre, huile,…), il n’est pas possible de passer via un grossiste bio. L’alternative est au fond assez simple : il faut dès lors retisser du lien avec les producteurs locaux. En prévenant un producteur et en lui passant commande un à deux mois à l’avance, celui-ci peut s’organiser afin de fournir les quantités requises. C’est donc une symbiose entre producteurs locaux et cantines qu’il convient de reconstruire, symbiose qui est mutuellement profitable, symbiose qui permet de relocaliser de l’activité économique et de soutenir des producteurs locaux et l’agriculture biologique. Il est également important de permettre une certaine flexibilité en cas de produits non disponibles. Même les produits frais sont à privilégier, les conserves bios peuvent être une solution en cas de problème ou lors de la mise en route.
En conclusion
Un passage au bio des cantines scolaires (comme d’entreprises) est faisable sans pour autant renoncer aux tarifs démocratiques. C’est toutefois un processus qui ne se fait pas en un jour. Il convient d’ailleurs sans doute d’imaginer des paliers sur le pourcentage de produits issus de l’agriculture biologique, et progressivement également de l’agriculture locale. Chez Ethias, pour reprendre une dernière fois cet exemple, nous sommes aujourd’hui à plus de 80% de produits de saison issus de l’agriculture biologique.
C’est un processus qui demande également d’adapter les pratiques. Il s’agit d’évaluer et diminuer déchets et gaspillage (en menant notamment des campagnes de mesure), de mettre en place des campagnes de sensibilisation, de reconditionner les restes, d’avoir une bonne gestion de ses stocks, de prévoir ses quantités (réservation, programmation de long terme,…).
Mais c’est un processus réaliste et réalisable : passer au bio sans passer au bobo, c’est faisable !